PBE: Nicolas Jurnjack : « Coiffeur de studio ? Les places sont très chères ! »

 
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9/09/2019 | METIERS | Siska von Saxenburg

INTERVIEW. En pleine période des Fashion Weeks, le célèbre styliste Nicolas Jurnjack, grand habitué des tapis rouges, nous dévoile sans faux-semblants les coulisses de ce métier qui a longtemps fait rêver les jeunes générations : coiffeur de studio et de défilés. Et ça décoiffe !

Profession bien-être : Le métier de coiffeur de défilés fait-il toujours rêver? 

Nicolas Jurnjack : Sans doute moins qu’avant. Cela ne veut pas dire qu’avant, c’était forcément mieux. Mais aujourd’hui, le défilé représente davantage une rentabilité textile qu’une extravagance ou l’expression d’une réelle créativité. Je m’explique : si, depuis près d’un siècle, ces shows présentent des pièces qui n’ont pour but que de créer une identité, les collections extravagantes, elles, sont souvent doublées, voire triplées de pièces moins créatives, mais plus portables, donc plus rentables.

Il en va de même pour la coiffure. Il s’agit de s’aligner sur une proposition de style. Et le style, aujourd’hui, est devenu très commercial. Le coiffeur de défilé va être obligé de miser sur le sans risque. Car la «girl next door» a pris le pas sur la créature de rêve. Un phénomène stimulé par les réseaux sociaux qui créent de la tendance à tout va, sans grande logique, pour remplir à tout prix. Il faut donc des coiffures accessibles et reproductibles.

Ces coiffures aperçues lors des Fashion Weeks sont-elles de vrais indicateurs de tendance ou de simples exercices de virtuosité?

Soyons sérieux. Pour parler de tendances, il faudrait pouvoir comparer beaucoup de compétitions avec des styles très marqués. Or, que se passe-t-il aujourd’hui ? Vous avez trois shows sur cent qui font le buzz, question coiffure ! Un peu maigre pour parler de tendance…  Mais les journalistes arrangent ça à leur façon et tout le monde suit. 

A part quelques délires, comme les défilés de Maison Margiela, Valentino et quelques autres, les vraies tendances sont rares. Aussi rares que les créateurs qui considèrent toujours un show pour ce qu’il est réellement, à savoir un spectacle, un instant de rêve et d’inspiration. 

Donc, non les Fashion Weeks ne sont plus ces rendez-vous attendus, avant lesquels scénographes, coiffeurs et maquilleurs étaient tenus au secret le plus absolu. De plus en plus, les maisons de couture et les marques laissent fuiter des infos avant la présentation, pour nourrir les médias sociaux. Du coup, le show n’est devenu qu’une confirmation sans surprise de centaines de posts publiés toute la saison.

Il n’y a donc plus de créativité sur les Fashion Weeks?

Il reste encore quelques maisons qui acceptent le fun. Certains coiffeurs anglais de ma génération continuent à infuser une forte dose de créativité sur quelques shows, mais je dirais que cela représente 5% de l’industrie. Dans l’ensemble, les coiffures présentées sur les runways sont à la portée d’un coiffeur de salon. Pas besoin d’être super qualifié ou virtuose pour reproduire ces looks ! La créativité serait plutôt pointée du doigt que plébiscitée.

Il faut savoir que le coiffeur de défilé travaille aujourd’hui pour un groupe de cosmétiques ou un groupe qui finance toute l’équipe. Ce qui a fait rêver la jeune génération de coiffeurs, c’était l’expertise, le savoir-faire, l’inaccessibilité et l’excellence technique. Aujourd’hui, le travail a changé. Il faut créer vite des looks «portables», pour rester dans l’équipe de son sponsor. 

Les paillettes des shows font pourtant toujours rêver. Que faut-il faire pour percer dans ce milieu?

Là encore, les choses changent. Jusqu’en 2007, la presse de mode était la référence absolue. Il fallait donc se battre contre des coiffeurs vedettes bien implantés. Aucun agent ne prenait le risque de vous envoyer coiffer une célébrité sans que vous ayiez fait largement vos preuves, ce qui pouvait prendre des années ou ne jamais arriver. 

Aujourd’hui, tout va beaucoup plus vite : vous pouvez vous retrouver en moins de trois mois tout en haut. Seul revers de la médaille : vous devrez livrer le look que l’on vous demande. Si, techniquement, vous n’êtes pas au point, vous dégagez, et le train ne repassera pas. Pour percer, il vous faudra une technique à toute épreuve, vous permettant de reproduire n’importe quel look en un temps record. 

Et surtout, une connaissance de l’histoire de la coiffure, et pas seulement des dix dernières années. Car les tendances se répètent et se mélangent. Vous devrez faire preuve d’une patience illimitée face aux exigences d’un client qui peuvent changer d’un instant à l’autre. Vous aurez à séduire un agent pour vous représenter, qui vous prélèvera de 30 à 35% sur vos gains, parfois sans faire grand-chose.

Vous devrez vous servir des réseaux sociaux – même s’ils ne garantissent rien—, essayer d’infiltrer le réseau des influenceuses, même si 90% d’entre elles sont illégitimes, vous connecter au peuple de la mode, qui vit dans ce milieu très fermé. Et assister le plus possible des coiffeurs de renom, non pour apprendre leur technique, mais pour comprendre le système, même s’il est insensé.

Quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?

Déjà, ne pas être aveuglé par les paillettes du business : elles cachent une réalité plus sombre. Ne pas rester trop longtemps assistant du même coiffeur, choisir un mauvais agent. Et surtout ne pas céder aux sirènes d’un groupe de cosmétique qui vous promet une visibilité mode. Tous les professionnels savent bien qu’aucun coiffeur studio connu ne vient pas d’un groupe de cosmétique.

Enfin, ne pas se laisser contaminer par l’égo des autres professionnels. Il faut l’accepter, ne pas répondre, se taire et se faire discret et regarder, noter, apprendre. S’imaginer qu’à la première célébrité coiffée, vous allez faire partie du club relève de l’illusion.

Beaucoup de sacrifices, en fait. Mais ce métier permet-il de bien gagner sa vie ?

A mon avis, sur dix coiffeurs de shows reconnus mondialement, trois gagnent vraiment bien leur vie avec les shows, grâce aux sponsors. Les autres font une opération blanche, voire perdent de l’argent, car, depuis quelques années, les maisons ne paient plus les intervenants chefs de cabine coiffure, à part quelques exceptions. Les shows internationaux ne sont plus une source de revenus appréciables.

Coiffeur de studio est donc un métier à la mode, mais les places sont très chères et très peu en vivent correctement. Et vous devez être prêt à accepter, tout au long de votre carrière, que 50% de votre travail soit très peu, voire pas rémunéré du tout, mais tout de même nécessaire pour assurer votre visibilité.

Une note optimiste pour terminer ?

Malgré la folie et les règles particulières de ce milieu, il reste des instants magiques. C’est le moment où vous avez l’opportunité de placer un look étonnant, une signature de style, une certaine vision. En début de carrière, ces occasions sont rares, mais elles existent. Il suffit d’être constamment à l’affût. Je souhaite à tous les coiffeurs séduits par ce métier de vivre cet instant et de savoir le reconnaître.

Propos recueillis par Siska von Saxenburg. 

D’autres questions à poser à Nicolas Jurnjack ? Retrouvez le créateur dimanche 15 septembre, à 11h et à 15h30, sur le stand PBE au Mondial Coiffure Beauté, qui se tiendra du 14 au 16 septembre, porte de Versailles, à Paris.